Sur
sa couche il se tourne,
Se retourne,
Et le sommeil se détourne.
C’est le sommeil du posté.
Les
yeux gonflés et rougis
N’auront froissé les draps qu’une
poignée d’heures,
Lorgnant cent fois de peur qu’ils ne s’oublient
Les aiguilles du réveil de son sommeil…
réparateur ?
Sur
sa couche il se tourne,
Se retourne,
Et le sommeil se détourne.
C’est le sommeil du posté.
Un
café en vitesse descendu,
Le voilà parti assurer la relève.
Son collègue l’attend, ses yeux n’en
peuvent plus,
Ils vont se fermer avant que le jour ne
se lève.
En fin de nuit, une ravigotante douche,
Et voilà que son sommeil s’enfuit.
Quand le jour se lève, le verrier
enfin se couche,
Saoulé de chaleur et de bruit.
Sur
sa couche il se tourne,
Se retourne,
Et le sommeil se détourne.
C’est le sommeil du posté.
De
sommeils en méridiennes
Entrecoupées par les criardes voix
des loupiots,
Ou par ces diables de piafs qui de leurs
rengaines
Au jour nouveau en train de poindre, saluent
très tôt,
Quand ce n’est l’astre souverain qui darde
De ses rayons à travers les volets,
Ou le marchand ambulant
Qui longuement s’attarde
Sur son klaxon stridulent.
C’est
le sommeil du posté.
Sur sa couche il se tourne,
Se retourne,
Et le sommeil se détourne.
Et
des matins, des après-midi,
Et d’innombrables nuits,
Du défilé des jours au défilé
des ans,
A cette usure du temps.
Il œuvre dans le « cagnard »,
C’est le dur métier de verrier.
Bleu azur, le bleu de son « costard
»
Avant que ne le maculent huile et suée.
Dieu
quelles sont harassantes ces putains de
journées,
Dans la chaleur écrasante des étouffants
étés,
Où tu ne sais plus si tu as bu ou
si tu as soif,
Les jambes en coton et le corps à
moitié paf.
Avec son jargon, le verrier dit qu’il a
« plongé »,
Qu’il repart en « planche »,
qu’il a pris une « brumée ».
Et d’un revers de manche il éponge,
Sur son front rougi et ruisselant,
Les perles du labeur.
Souvent
revient à lui le même songe
Dans l’air irrespirable devenu brûlant
:
« S’il obtenait le droit à
la retraite avant l’heure » ?
A souffler plus tôt le verrier aspire,
Il est grand temps enfin… Qu’il respire.
Après trente printemps postés,
Le verrier a « fait son temps ».
Son corps est las, usé,
Et n’a plus hélas ses jambes de vingt
ans.
Il
n’a au grand jamais « fait néant
»
Tant s’en faut il a donné tellement
Avec ses bras et ses entrailles.
Devant la porte de l’usine,
Le « petit jeune » fait triste
mine,
Il se morfond et souhaiterait bien du travail…
Juin
2000
Jean-Marc Delfau
Albi |